Sarre

X-Ray aux Volklinger Hütte : la puissance du regard de Röntgen traverse les corps et les âmes

Première exposition dédiée au rayonnement technologique, politique et artistique du rayon X, X Ray plonge le visiteur dans 130 ans d’exploration des faces cachées de l’humanité.

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La main d’Anna Bertha Röntgen, 22 décembre 1895, fut la première radiographie publiée. Deutsches Röntgen-Museum, Remscheid © Hans-Georg Merkel / Weltkulturerbe Völklinger Hütte.

Seule la salle des soufflantes et celle de la compression de la Volklinger Hütte pouvait accueillir une exposition d’une telle envergure. Depuis le 9 novembre et jusqu’au 16 août 2026, l’ancienne aciérie présente sur 6.000 mètres carrés « X Ray - la puissance du regard de Röntgen ». Les œuvres de 79 artistes, scientifiques, réalisateurs, écrivains, photographes, architectes et créateurs de mode explorent les usages tantôt salutaires, tantôt effroyables de l’invention de Wilhelm Conrad Röntgen en 1895.

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Dr Ralf Beil, directeur général et commissaire de l’exposition, dans la chapelle créée par Wim Delvoye. © Celine Felber / Weltkulturerbe Völklinger Hütte.

« Classées au Patrimoine mondial de l’Unesco, les Völklinger Hütte  se doivent d’explorer la science du monde de la manière la plus attractive et la plus abordable possible. La visite de l’exposition X-Ray peut prendre deux heures ou une journée, mais il faut bien plus de temps pour en percevoir toutes les dimensions », prévient le Dr Ralf Beil, directeur général du patrimoine mondial Völklinger Hütte et commissaire de l’exposition.

Une radio de l’âme humaine

Sitôt dévoilée, la découverte du chercheur bavarois - premier Prix Nobel de chimie de l’histoire -, l’extraordinaire possibilité de transpercer la matière se répand dans le monde comme une traînée de poudre. X-Ray invite à une promenade scientifique, politique et artistique de 130 ans à travers les six continents - et jusqu’à l’espace. Tantôt drôle, tantôt glaçante, l’exposition révèle bien plus qu’une technique. Elle immerge le visiteur dans les meilleures et dans les pires aspirations humaines.

Pionnier de l’open source, Wilhelm Conrad Röntgen ne fit pas breveter sa technique de production de rayons X, laissant libre cours aux expérimentations des physiciens et des médecins. On prêta d’abord à la machine - reconstituée en taille réelle dès l’entrée -  le pouvoir de tout guérir. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions, comme l’indique le masque d’une malheureuse Sarroise atteinte de la lèpre, qui ne survécut pas à une tentative de radiothérapie.

Les rayons X s’avèrent dès l’origine aussi dangereux que précieux. Les images de Marie Curie et de sa sœur Irène témoignent de l’héroïsme de ces scientifiques risquant leur santé sur les champs de bataille pour radiographier les blessés. L’invraisemblable podoscope utilisé dans les grands magasins dans les années 1920 répondait à un objectif moins noble : c’est pour mesurer les pointures sans se déchausser que furent exposés clients et personnels.

Les poumons de Marilyn

Nés alors même que les biologistes venaient d’identifier le bacille de Koch, les rayons X sont intimement liés à la lutte contre la tuberculose et autres maladies pulmonaires. Spécialement conçue pour la salle des soufflantes, le vitrail de Christoph Brech, basé sur les radios pulmonaires noircies retrouvées dans les archives cliniques sidérurgiques, restera en place après l’exposition en hommage aux travailleurs et aux travailleuses du site.

Le regard du rayon X s’est focalisé sur les poumons, mais aussi la colonne vertébrale, voulue impeccablement droite. Il pénètre à l’envi le corps des femmes. Un summum de machisme est atteint avec une  radio de la poitrine de Marilyn Monroe vendue aux enchères. Un autre cliché révèle la cruauté d’un stérilet ôté de force au nom d’une politique nataliste.

Des mineurs sud-africains radiographiés pour éviter les vols de diamants aux silhouettes de migrants cachés dans des valises en passant par les stérilisations expérimentales des camps de concentration, l’usage des rayons est riche d’horreurs. La vue des cages grillagées laissant à nu chaque mouvement des prisonniers de Guantanamo rappelle que l’horreur n’a pas toujours besoin de technologie.

Une chapelle hérétique

L’un des points d’orgue de l’exposition arrive à mi-parcours, sous la forme d’une chapelle radiographique créée par l’artiste belge Wim Delvoye en 2006. Cette installation monumentale reproduit l’architecture gothique, mais ses vitraux, figurant des squelettes dans des étreintes très charnelles ou des ossements de majeur tendu bien haut, jouent avec les tabous.

L’ancienne usine sidérurgique, idéalement configurée pour accueillir cette œuvre de   de plus de six mètres de hauteur, joue elle-même la transparence. Son acier fabriqua aussi bien des casques que des grenades et elle eut recours au travail forcé pour participer à l’effort de guerre. 

Un catalogue en souscription

L’usine est aussi assez haute pour exposer, à la taille d’un dinosaure, le squelette, réalisé par Andreas Greiner, de l’un de ses malheureux descendants. Une radio a révélé la fracture des os d’un poulet de batterie écrasé par le surpoids. « Il s’agit là d’un monument de l’anthropocène. Les radios révèlent aussi ce que nous faisons aux animaux pour manger », souligne Ralph Beil.

L’immense décor de fer et de briques se prête à des projections sur écrans géants, où réapparaissent à la faveur des ondes les secrets des œuvres de Goya ou de Léonard de Vinci, ou à des installations complexes. Le visiteur pourra se perdre dans le labyrinthe de briques transparentes imaginé par Cris Bierrenbach, admirer une maquette de satellite à taille quasi-réelle ou stationner devant  l’authentique guichet d’époque du cinéma de Volklingen. Le cinéma, la littérature et la caricature se sont régalés d’infinis jeux de transparence. L’architecture a joué la carte de la clarté, révélant la vue des occupants à travers de larges baies vitrées. Les Volklinger Hütte tout entières n’auraient pas suffi à présenter l‘impact de la transparence sur la mode, dont attestent entre autres un défilé de mode X-Ray signé Elsa Schiaparelli, Jean-Paul Gaultier et Iris van Herpen.

Le livre-catalogue X-Ray, édité par Ralf Beil et Thomas Zaunschirm, paraîtra le 18 mars 2026 en version allemande et anglaise aux éditions Sandstein Kultur, à Dresde. Riche en illustrations, commentaires et sources scientifiques, littéraires et politiques depuis 1895, l’ouvrage est proposé en souscription au prix de 40 euros, contre 48 euros en boutique et 58 euros en librairie.

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Andreas Greiner, Monument for the 308, 2016.© Oliver Dietze / Weltkulturerbe Völklinger Hütte

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