Les trois monuments à l’Armée noire de Reims
A Reims, novembre 2024 est l’occasion de célébrer le centenaire du Monument aux héros de l’Armée noire, hommage aux soldats africains morts pour la France. Conférence, film et exposition permettent de revenir sur les enjeux historiques et les péripéties de cette œuvre, dont l'originale existe toujours à Bamako.
Il a été inauguré en 1924 à Reims, démantelé en 1940 par les Allemands, reconstruit sous une autre forme en 1963, avant de renaître presque à l’identique en 2013. En Champagne, le Monument aux héros de l’Armée noire témoigne d’un siècle d’histoire et d’enjeux qui évoluent au fil du temps. Il est d’ailleurs l’un des très rares monuments à rendre hommage aux soldats noirs morts pour la France au cours de la Première Guerre mondiale et par-delà.
Le Centenaire de l’ancienne œuvre donne ainsi lieu à plusieurs manifestations à l’occasion de l’Armistice: cérémonie officielle le 11 novembre, conférence sur l’histoire de ce monument le 9 novembre par Jean-Pierre Husson, docteur en histoire de l’université de Reims-Champagne-Ardenne (Urca), ciné-débat avec la projection du film “Tirailleurs” le 19 novembre au cinéma Operaims. Il se prolonge à travers une exposition visible du 14 novembre au 15 décembre à la gare de Reims et intitulée “1939-1944, de la défense du territoire à la libération: les combats des “tirailleurs sénégalais” en France”.
1924 est, en réalité, l’année d’une double inauguration. Le Monument aux Héros de l’Armée noire original est d’abord dévoilé à Bamako, capitale de ce qui était alors le Soudan français (actuel Mali). Quelques mois plus tard, sa réplique trouve place à Reims sur un terrain offert par la maison de champagne Pommery et Greno. A travers le choix de ces deux villes, Paris entendait saluer la valeur des troupes noires, particulièrement engagées dans la difficile défense de Reims (Marne), tout comme la solidité des liens entre l’empire colonial et la métropole.
Le bronze probablement fondu
L’œuvre était constituée d’un socle en granit, en forme de “tata”, fortin traditionnel africain. Ce dernier était surmonté d’un bronze signé du sculpteur parisien Paul Moreau-Vauthier représentant quatre tirailleurs africains rassemblés autour du drapeau français porté par un officier blanc.
En septembre 1940, cette statuaire de bronze a été démontée par l’autorité allemande d’occupation et embarquée dans un train. Elle n’a jamais été retrouvée, le métal a probablement été fondu. Le socle, lui, a été détruit.
Deux obélisques plus discrets
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Amicale des anciens coloniaux et marins de Reims a lancé une souscription pour reconstruire le monument. Mais l’initiative a suscité des tensions de nature diverse. Enfin, dans les années 1960, l’heure étant à la décolonisation, un monument plus discret a vu le jour. Il a été inauguré en 1963, en présence notamment du ministre des Armées Pierre Messmer. Toujours visible en bordure du parc de Champagne, il est formé de deux obélisques en pierre d’Eurville qui symbolisent l’union des combattants métropolitains et africains.
Gavoty à Bamako
Pour autant, l’histoire ne s’achève pas là. 45 ans plus tard, en 2008, Adeline Hazan, alors maire de Reims, a annoncé la reconstruction à l'identique de l'ancien monument. Ce sera possible pour la statuaire, mais non pour le socle. A Bamako, le monument jumeau a en effet permis au sculpteur Jean-François Gavoty d’effectuer des relevés précis. Le travail de modelage a ensuite été réalisé dans son atelier de Puig dans les Vosges. Quant au socle, dont la réalisation a été confiée à l’entreprise Oesterlé Mobilier urbain de Lutterbach (Haut-Rhin), il se compose désormais d’une arche ouverte dont le plafond est décoré de petits bronzes conçus par les étudiants des écoles de design de Reims et de Bamako. Ces derniers évoquent l’histoire des tirailleurs sénégalais.
“Cette restitution en 2013 du monument rémois démantelé en 1940 inscrit ce que notre histoire républicaine doit aux peuples africains”, lit-on sur le nouveau monument, qui a retrouvé une place, valorisée, à l’intérieur du parc de Champagne. L’actuel premier magistrat de Reims, Arnaud Robinet, ayant souhaité une inauguration officielle à l’occasion des cérémonies du centenaire de l’Armistice, elle a donc eu lieu le 6 novembre 2018. Le président de la République Emmanuel Macron y a assisté au cours de son “itinérance mémorielle”, en compagnie du président du Mali de l’époque, Ibrahim Boubacar Keïta (1945-2022).
Pour ce troisième monument, la statuaire est identique à celle de 1924 tandis que le socle est contemporain. DR