Taux d’emploi transfrontalier : mieux chiffrer pour mieux comprendre
Ce jeudi 4 décembre, l’observatoire sarrois OIE-Iba invite les statisticiens de la Grande Région à se pencher sur des chiffres préoccupants. L’espace frontalier affiche un taux d’emploi inférieur de quatre points à l’objectif de 78 % fixé par l’Union européenne et ses différentes composantes accusent des écarts allant jusqu’à 15 points.

Dans l’Union européenne, au moins 78 % des citoyens âgés d’entre 20 et 64 ans devraient avoir un emploi d’ici à 2030. A cinq ans de cette échéance inscrite au plan d’action sur le socle européen des droits sociaux, l’observatoire interrégional du marché de l’emploi (OIE) organise ce jeudi 4 décembre à Esch-sur-Alzette un atelier-débat consacré aux déclinaisons transfrontalières de cette ambition européenne. L’organisme statistique sarrois répond ainsi à la commande de la Grande Région, dont la présidence wallonne actuelle a inscrit ce thème parmi ses priorités.

Alexa Himbert, chargée d'études à l’OIE-Iba.Alexa Himbert, chargée d'études à l’OIE-Iba. DR
« La question de l’accès à l’emploi n’est pas nouvelle, mais dans la Grande Région, elle se pose dans un contexte de pénurie de main d’œuvre et de vieillissement de la population qui touche toutes ses composantes. Il est d’autant plus important de comprendre, région par région, comment permettre aux habitants d’accéder au travail, ce qui est à la fois un droit pour chacun et un enjeu important pour toute la société », estime Alexa Himbert, chargée d'études à l’OIE-Iba.
Régulièrement réactualisé par l’institut statistique sur la base de données Eurostat, le taux d’emploi de la Grande Région se situe à 73,9 %, soit près de quatre points de moins que l’objectif européen. Calculé sur un bassin de population de 11 millions d’habitants, ce chiffre global masque des disparités considérables. Dans ses composantes germanophones, le taux d’emploi dépasse ou avoisine 80 %, avec 80,9 % en Rhénanie-Palatinat et 79.2 % en Sarre. La Communauté germanophone de Belgique occupe la troisième place avec 78,1 %. Les parties francophones sont en revanche à la traine avec 71,8 % en Lorraine et 65,5 % en Wallonie. De façon quelque peu inattendue, le Luxembourg affiche une performance très moyenne de 74,8 %.
Une échelle bien large
L’atelier de ce jeudi, qui affiche complet, se propose d’étudier entre experts ces disparités et de les analyser sur des bases scientifiques. Mesuré par rapport au pourcentage d’activité rapporté à la population en âge de travailler, le taux d’emploi permet de mesurer le taux d’activation d’une population sur un territoire donné.
L’échelle de la Grande région paraît bien large pour bien comprendre des écarts atteignant 15 points – et à fortiori, pour y remédier. : les zones rurales de Wallonie se trouvent dans une situation bien différente de celle d’un quartier d’affaires luxembourgeois. Les statistiques découlant de forte activité industrielle en Sarre et en Rhénanie-Palatinat sont noyées dans la masse d’espaces voisins où l’industrie lourde a fortement régressé, entraînant des répercussions durables sur l’accès à l’emploi. A l’intérieur d’une même région, le nord-ouest de la Moselle, frontalier du Luxembourg, présente une configuration radicalement différente de celle de la Meuse à dominante rurale.

Vincent Hein, directeur d'Idea. © Pascale Braun.
« Les chiffres consolidés à l’échelle de deux Länder, de la Lorraine, de la Wallonie, de la Communauté germanophone de Belgique et du Luxembourg n’offrent aucune interprétabilité au niveau frontalier. Je rêve d’une statistique grand-régionale, où les données seraient mesurées à l’échelle du Grand Luxembourg. Il s’agit d’une urgence politique pour mettre en place les politiques les plus prioritaires », affirme Vincent Hein, directeur du think tank luxembourgeois Idea.
Trop d’angles morts
L’économiste souligne les particularités du Grand-Duché, qui ne parvient plus à descendre en-dessous d’un taux de chômage de 6 %. Les données Eurostat, qui n’intègrent que les résidents – nationaux ou étrangers – du pays, surévaluent le poids de la fonction publique et ignorent les flux transfrontaliers. Ils mésestiment également l’incidence du taux d’emploi des séniors, particulièrement bas au Luxembourg où seuls 49 % des personnes de plus de 55 ans travaillent encore, contre 75 % des Allemands. Par ailleurs, le dynamisme de la place financière ne doit pas occulter le déclin du secteur industriel. « Le marché du travail dans le Grand-Luxembourg, qui englobe Metz et une bande frontalière d’environ 30 kilomètres, concentre les enjeux actuels et futurs. Nous manquons d’informations sur cet espace. Pour être efficiente, la Grande Région veut affiner ses connaissances, enrichir ses statistiques et les décliner à cette échelle », estime Vincent Hein.
Le flux transfrontalier se tarit
Chercheur-associé au Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (Liser), Franz Clement pointe derrière les statistiques un phénomène encore peu étudié : la stagnation du nombre de frontaliers travaillant au Luxembourg.

Franz Clement , chercheur-associé au Liser. © Liser.
« Cette question, qui inquiète autant les employeurs que les organisations syndicales, est en train de devenir un problème économique. Depuis le Covid, qui a permis le développement du télétravail, nous assistons à un changement de paradigme : les frontaliers, même jeunes, ne sont plus disposés à passer des heures dans les bouchons. Ils préfèrent gagner moins, mais vivre mieux », souligne Franz Clement .
Ce 4 novembre, le chercheur en sciences sociales attirera l’attention de ses collègues sur la notion de zone d’activité à fiscalité spécifique, proposée par le député Eric Ciotti, président du parti d’extrême-droite français « L’Union des droites pour la République », entre Nice et Monaco. Des entreprises monégasques pourraient s’implanter à Nice en profitant du même régime fiscal qu’en Principauté. Fort contestée dans les Alpes-Maritimes, l’idée pourrait intéresser un Grand-Duché qui se sent lui aussi à l’étroit dans ses frontières.
© André Faber.