A Remich, les syndicats portent le fer dans la plaie de l’injustice fiscale
Le 23 octobre au Luxembourg, la 13ème édition des Entretiens de Remich analysera l’impact des politiques fiscales de France, d’Allemagne, du Luxembourg et de Belgique sur les inégalités et l’austérité. Pour une fois, l’analyse fait ressortir non pas des disparités, mais de mêmes causes produisant les mêmes effets.

Dans une période politique particulièrement troublée, les affres de l’endettement, les dissensions sur le budget et les appels en faveur de plus d’équité fiscale pourraient apparaître comme une spécificité française. Il n’en n’est rien. En choisissant pour thème « Justice fiscale : l’antidote aux inégalités et aux politiques d’austérité ? », la 13ème édition des Entretiens de Remich, grand’messe annuelle des syndicats de la Grande Région fait apparaître une problématique commune aux quatre pays représentés.

Jacques Delacolette (à droite), président du CSI-GR, et son prédécesseur Eugen Roth. © DGB.
« Dans la Grande Région, les gouvernements prennent de plus en plus de mesures d'austérité en invoquant les caisses vides de l’Etat. L’argent est prélevé chez les travailleurs, auprès des classes moyennes et parmi les précaires. Le principe de ruissellement dont on nous disait qu'il assurait prospérité et création d'emplois ne fonctionne pas, puisque les États se trouvent dans des situations financières de plus en plus difficiles ! Depuis l'ère Thatcher, la philosophie libérale fait fausse route », affirme Jacques Delacollette, président du Conseil syndical interrégional de la Grande-Région (CSI-GR).
Chantiers inflammables
Le 28 juin dernier, le Luxembourg a connu une mobilisation historique à l’appel des deux principaux syndicats du pays, l’OGBL et la LCGB, qui dénonçaient les reculs du gouvernement chrétien-social du Premier ministre Luc Frieden en matière de retraites, de conventions collectives, de temps de travail et de niveau de vie. En France, en l’absence de gouvernement solide, le mouvement social vise directement le président Emmanuel Macron. Une semaine après un premier mouvement intitulé « Bloquons tout », les syndicats ont rassemblé plus de 500.000 manifestants sur les questions de pouvoir d'achat et de justice sociale, contre l'austérité et pour l'abrogation de la retraite à 64 ans. En Allemagne, le chancelier Friedrich Merz a ouvert jeudi 9 octobre « l’automne social » avec deux chantiers inflammables, l’Etat social et les retraites. A Bruxelles, plus de 100.000 manifestants ont défilé le 14 octobre contre les mesures du gouvernement du conservateur flamand Bart de Wever, qui a réduit la durée des allocations chômage et s’apprête à mettre en œuvre une réforme incluant l’âge de départ à la retraite, la suppression des régimes spéciaux des militaires et des cheminots.
Plus riches, moins imposés
L’étude réalisée par l’organisation non gouvernementale Oxfam Belgique sur la fiscalité et les inégalités en France, en Belgique, en Allemagne et au Luxembourg s’inscrit dans une tendance mondiale. Dans l’Union européenne, la part de la richesse détenue par les 1% les plus riches est passée de 22 % à 25 % entre 2000 et 2023. Dans le même temps, le taux marginal moyen d'imposition des revenus les plus élevés a baissé de 7 points, passant de 45 % en 2000 à 38 % en 2023. L'impôt sur les sociétés est passé de de 32 % à 21%, tandis que le taux d'imposition effectif sur les bénéfices des grandes entreprises baissait de 21% à 19%.
Toujours durant ce premier quart de siècle, le taux moyen d'imposition des revenus du travail est passé de 33,5 % à 34,5%, tandis que les taux d'imposition de la consommation, telle la TVA, ont augmenté de 5 points.
Ces phénomènes se répercutent dans chacun des pays de la Grande Région. Le maquis des systèmes fiscaux, où chaque Etat rivalise de créativité, rend la taxation des revenus du capital peu lisible. La France applique un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30% tandis que le Luxembourg distingue les intérêts bancaires des résidents, taxés à 20 %, et les dividendes, qui bénéficient d’une exonération de 50 % avant imposition. De nombreuses plus-values de particuliers sont exonérés lorsqu’ils sont détenus depuis plus de six mois. La Belgique applique en principe un précompte de 30 %, mais de nombreuses exceptions permettent d’alléger cet impôt. L’Allemagne applique, quant à elle, un taux de 26,4 % (25 % d’impôt plus une surtaxe) de manière uniforme, quelle que soit la provenance des revenus du capital et le niveau de revenu du contribuable.
La taxation des plus-values du capital varie également d’un pays à l’autre. La Belgique en est quasiment exemptée, le Luxembourg offre aux plus-values privées conservées sur le long terme une quasi-exemption et limite la taxation des gains à 20 %. La France distingue les plus-values immobilières taxées à 36 % et les plus-values mobilières taxées à 30%. L’Allemagne applique pour sa part un taux forfaitaire de 26,4 %
Plus d’impôts sur le travail
Dans ces mêmes pays, la taxation du travail, bien que progressive, s’avère nettement plus lourde. Elle culmine à 45 % (soit 55,4 %, en comptant le taux marginal effectif) pour les hauts revenus français, à 52,9 % en Belgique, surtaxes comprises, à 47.5 % en Allemagne et à 45 % au Luxembourg.
L’analyse de l’origine d’un 1 euro de recettes fiscales varie assez peu en fonction des quatre pays et se conforme à la moyenne européenne. Les taxes de consommation, les impôts sur les salaires et sur le revenu y représentent entre 75 et 80 %, la part cumulée des impôts sur les sociétés, des impôts fonciers et des impôts sur la fortune formant le solde.
Ces chiffres ne tiennent pas compte de l’évasion fiscale qu’Oxfam évalue à 30 milliards d’euros par an pour la Belgique, 125 milliards d’euros pour l’Allemagne, 1,6 milliard d’euros pour le Luxembourg et 118 milliards d’euros pour la France.
« Plus on est riche, moins on paie d'impôts. Les riches sont donc de plus en plus riches tandis que la majorité de la population n'arrive pas à joindre les deux bouts », résume Jacques Delacolette.
L’ancien technicien belge, devenu représentant des frontaliers du syndicat luxembourgeois OGBL, a succédé en 2024 à Eugen Roth à la présidence du CSI-GR. Cette intersyndicale transfrontalière regroupe la CFDT, la CGT et la CFTC en Lorraine, l’OGBL et la LCGB au Luxembourg, le CSC en Wallonie et la DGB en Sarre et à Trèves, soit environ 600.000 adhérents dans quatre pays. La structure, qui fêtera son cinquantième anniversaire l’an prochain, s’implique dans l’élaboration d’un projet Interreg qui s’attachera à mieux former les délégués syndicaux aux complexités du droit social et fiscal dans la Grande Région.
© André Faber