Rhin supérieur

Le commerce de détail, transfrontalier mais avec modération

Franchir la frontière pour effectuer ses courses est une réalité indéniable dans la région des Trois Frontières au croisement de la France, de l’Allemagne et de la Suisse. Mais elle n’est pas si massive que supposée. Et des facteurs de langue et de comportements d’achats à l’ère du commerce en ligne ont tendance à la réduire quelque peu. Une table ronde de la RegioTriRhena a mis en exergue ces évolutions ce 5 novembre.

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© André Faber

Souvent débattu, parfois objet de fantasmes, le sujet des achats transfrontaliers dans le commerce de détail à l’intersection de la France, de l’Allemagne et de la Suisse a grand besoin d’être objectivé.  La table ronde organisée ce 5 novembre à Weil-am-Rhein (Bade-Wurtemberg) par l’association RegioTriRhena s’est basée sur une récente étude fort complète de l’institut bâlois BAK Economics pour éclairer le débat.

Celle-ci pointe une répartition d’activité plus équilibrée qui bat en brèche la thèse d’un tourisme commercial de masse dans la région TriRhena formée par les cantons de la Suisse du Nord-Ouest, le Sud du Pays de Bade allemand et le département français du Haut-Rhin.

Ainsi, la partie suisse concentre la plus importante proportion d’effectifs et de volumes dans le commerce de détail, mais celui-ci se « dilue » dans un dynamisme économique global si fort que son poids réel s’en trouve relativisé. Sur les 131 400 actifs dans le commerce que BAK Economics recense dans la région des Trois Frontières (soit 7,2 % du total), 45 % se situent en Suisse du nord-ouest, contre 37 % en Sud-Bade et le solde côté alsacien. De même, Bâle et ses environs captent quelque 60 % du chiffre d’affaires du commerce de détail trinational (20 milliards d’euros sur le total évalué de 34 milliards), loin devant les secteurs allemand (28 %) et français (5,3 milliards d’euros).

Le poids du franc suisse fort

En revanche, en « interne », en proportion des autres filières économiques, le commerce pèse moins à Bâle et ses cantons voisins (6,3 % des actifs et 3,2 % de la valeur ajoutée) qu’en Sud-Bade (respectivement 8,4 % et 5 % des deux indicateurs) et qu’en Sud-Alsace (7,8 % et 4,6 %). « Le poids très important de la chimie-pharmacie et plus généralement le dynamisme de l’industrie dans la région bâloise viennent atténuer l’impact du commerce, bien qu’en valeur absolue, la partie suisse soit dominante à l’échelle transfrontalière », explique Julien Burkhard, chef de projet à BAK Economics et responsable de l’étude (1).

Que représentent les flux transfrontaliers d’achats ? Le document s’essaie à une réponse, du moins au départ de la Suisse. Les consommateurs de la Suisse du nord-ouest effectueraient chaque année entre 5 et 8 milliards d’euros d’achats sur les versants allemand et français cumulés. « Environ 10 % des consommations de la partie suisse est transfrontalier », traduit Julien Burkhard. « Le franc suisse fort vient augmenter le pouvoir d’achat des Bâlois », relève l’économiste.

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La Dreiländergalerie a ouvert en 2022 pour une clientèle transfrontalière à Weil-am-Rhei. © 21m

Des écarts de prix conséquents

Quant à la motivation, celle du meilleur prix est généralement mise en avant. Elle semble corroborée par une autre étude de l’université de Saint-Gall. Portant sur l’ensemble des consommateurs suisses, elle évalue à deux-tiers la part des produits alimentaires et autres produits du quotidien dans leurs emplettes. Or, la réputation d’une vie moins chère aux frontières allemande et française est tenace, l’étude BAK Economics la confirme. L’institut met en exergue un écart de 22 à 29 % avec le niveau des étiquettes de la Suisse du Nord-Ouest, « quand bien même la position frontalière crée quelques surcoûts avec une moyenne de prix à Mulhouse supérieure de 6 % au reste de la France et un écart de + 4 % à Fribourg-en-Brisgau vis-à-vis de l’Allemagne ». 

Le commerce transfrontalier est donc bien une réalité. Son incarnation maximale en serait probablement le Rheincenter de Weil-am-Rhein (Bade-Wurtemberg) : situé au pied du tramway de Bâle et de la passerelle reliant à Huningue par-dessus le Rhin, il accueille tout au plus 10 % de clients allemands contre 75 % de Suisse, le solde étant formé par les Français. Pour autant, les nouveaux comportements d’achats semblent réduire les files de voiture passant la douane remplies de marchandises.

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Stéphane de Brabander, président de l’association de commerçants Les Vitrines de Saint-Louis. © DR

« La génération de nos parents se déplaçait beaucoup plus facilement de l’autre côté pour faire ses courses. La nouvelle, elle, cherche à acheter au plus près, et vite. Elle se montre moins disposée à faire plus de kilomètres pour passer la frontière, elle parle moins allemand…et elle commande en ligne », a témoigné Stéphane de Brabander, président de l’association de commerçants Les Vitrines de Saint-Louis. 

La fin des grands centres

Le représentant des commerçants pointe également l’ impact des contrôles aux frontières remis en place par l’Allemagne depuis plusieurs mois. Les évolutions semblent enterrer la perspective d’une région trinationale se muant en Eldorado des grands centres commerciaux. Celle-ci se dessinait pourtant jusqu’au début des années 2010, avec une accumulation de projets dans la foulée de l’ouverture en 2009 du complexe Stucki à Bâle avec ses 32.000 m2 de vente.

Depuis, le paysage transfrontalier ne s’est guère complété que de la Dreiländergalerie à Weil-am-Rhein (16.000 m2 de commerces, 26.000 m2 en comptant restaurants et autres services). A cet égard, l’abandon en 2022  du mégaprojet Unibail-Rodamco, qui projetait jusqu’à 90.000 m2 en périphérie de Saint-Louis, est hautement symbolique.

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Un projet mort-né, le mégacentre commercial qui était envisagé en périphérie de Saint-Louis jusqu'en 2022. © URW

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Stéphanie Gerteis, adjointe au commerce local à Saint-Louis. © Ville de Saint-Louis

« C’est bien la fin de l’ère de ces géants. A Saint-Louis, nos clients frontaliers viennent pour les produits alimentaires, la restauration-gastronomie et le commerce d’artisanat dans de petites boutiques », estime Stéphanie Gerteis, adjointe au commerce local à Saint-Louis.

Travailler moins et pas forcément en Suisse

Des distorsions de règles peuvent exister et exercer un impact pénalisant, l’élue de Saint-Louis pointant la différence de niveau autorisé de détaxe pour les clients payant en francs suisses, une pratique possible dès 50 euros en Allemagne et seulement à partir de 100 euros en France.  Mais globalement, les échanges organisées par RegioTriRhena  traduisent des problématiques communes : impact de l’e-commerce, priorité au conseil pour sauver le commerce physique traditionnel, et difficulté croissante à attirer les jeunes dans ces métiers.

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Lukas Ott, responsable du développement urbain au canton de Bâle-ville. © Lukas Ott

« L’évolution sociétale est nette. Les jeunes ne sont plus prêts à travailler dans le commerce de détail comme leurs aînés. La revendication de la semaine de quatre jours monte, et nous n’y échappons pas à Bâle. On ne peut pas l’ignorer dans nos stratégies », a estimé Lukas Ott, responsable du développement urbain au canton de Bâle-ville.

Dans ce contexte, la crainte d’une fuite de main d’œuvre vers la prospère Bâle n’est pas apparue particulièrement préoccupante. Côté allemand, « le personnel nous est fidèle, nous ne ressentons pas de concurrence significative à aller travailler en Suisse voisine », a assuré Philipp Frese, représentant de la CCI Sud-Rhin Supérieur. A Saint-Louis, la part de jeunes qui cherchent à s’embaucher dans les magasins suisses serait « très faible », selon Stéphane de Brabander.

Le nombre d’employés frontaliers dans le commerce n’excède guère les 4 000 en Suisse du nord-ouest, soit une part de 7 %, selon l’étude BAK Economics. Loin des proportions dans l’industrie et notamment la chimie-pharmacie où elle grimpe à 25 %.

(1)  « Volkswirtschaftliche Einordnung des grenzüberschreitenden Einzelhandels » (Classification économique du commerce de détail transfrontalier)

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