ReactiveCity prône l’union des villes contre les biocides
Dédié à la lutte contre les biocides et micropolluants en milieu urbain, ce projet Interreg présentera ce jeudi 18 septembre à Forchheim, au nord de Fribourg-en-Brisgau, un bilan de mi-parcours. La réduction des contaminations passe par un plan d’action transfrontalier.

Les études scientifiques qui se succèdent sur les micropolluants dans l’environnement agitent un chiffon toujours plus écarlate. Le Rhin supérieur, territoire densément peuplé et industrialisé, est aux premières loges. Engagé en 2023, le projet Interreg ReactiveCity veut promouvoir d’ici à 2027 des solutions communes et cohérentes pour protéger les eaux et sols des villes du Rhin supérieur des biocides, dont les PFAS (substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées, souvent appelés « polluants éternels ») et autres molécules indésirables. Ses animateurs, institutions de recherche et Villes de Strasbourg, Fribourg-en-Brisgau et Landau (Palatinat) en tête*, organisent un forum de mi-parcours ce jeudi 18 septembre à la station d’épuration des eaux de Forchheim (Bade-Wurtemberg).
Découvertes scientifiques

Sylvain Payraudeau, professeur à l’Engees et à l'ITES et co-coordonnateur de ReactiveCity. © Agence de l'Eau Rhin Meuse
« Outre la présentation des premiers résultats, dont plusieurs découvertes scientifiques, nous voulons mettre en place une feuille de route commune au Rhin supérieur pour construire des villes en meilleure santé », explique Sylvain Payraudeau, professeur à l’Engees (Ecole nationale du génie de l’eau et de l’environnement de Strasbourg) et à l’ITES (Institut de la terre et de l’environnement de Strasbourg, Université de Strasbourg, Engees et CNRS), coordonnateur de ReactiveCity avec Gwenaël Imfeld (Directeur de recherche au CNRS, ITES).
Un précédent projet Interreg, Navebgo (2019-2022), s’était intéressé à la pollution des eaux par les biocides utilisés dans les revêtements des façades de bâtiments, à l’échelle de quartiers de Strasbourg, Fribourg et Landau. Porté par l’ITES-CNRS à Strasbourg, ReactiveCity élargit la focale à l’ensemble des villes, ainsi qu’à un spectre plus large de micropolluants : antiobiotiques, bactéricides domestiques et les fameux polluants éternels, PFAS et TFA (acide trifluoroacétique) ont été passés à la loupe. Chacun des trois pôles régionaux s’est consacré pendant les deux premières années de ReactiveCity à un volet complémentaire.
Zéro biocide
Strasbourg a poursuivi l’étude des transformations des biocides issus des matériaux de construction des façades urbaines, ainsi que des antibiotiques, à l’ensemble du tissu urbain. Ce travail a abouti, grâce à un partenariat entre les chercheurs et les services de la ville, à une modélisation complète de prédiction du transfert des biocides dans la capitale alsacienne. Las, même dans le cas du scénario le plus optimiste, celui de l’arrêt de l’utilisation de ces molécules, les scientifiques ont mis en évidence un important « effet mémoire ». Ainsi, après 20 ans, 42 % de la terbutryne, molécule entrant dans la composition des revêtements des façades, et de ses dérivés, persistent dans les sols.
« A Strasbourg, nous avons en évidence l’effet mémoire des biocides. Soit on s’en attriste, soit l’on considère que c’est un moyen d’action supplémentaire pour convaincre les parties prenantes de changer de modèle », analyse Sylvain Payraudeau, qui espère que Landau et Fribourg s’empareront de la modélisation strasbourgeoise pour tester sa transposabilité.
Fribourg pilote les PFAS
Les résultats scientifiques outre-Rhin ne sont pas plus enthousiasmants. Les chercheurs ont étudié les réseaux des eaux usées depuis l’amont de Fribourg jusqu’à la station d’épuration de Forchheim, à une vingtaine de kilomètres au nord. Résultat, les zones agricoles aussi sont affectées par une pollution aux PFAS. De surcroît, les TFA, plus petits, mobiles et persistants que les PFAS dont ils sont issus, sont plus nombreux en sortie des stations d’épuration, seulement capables en certains cas d'initier une dégradation incomplète des PFAS. Quant aux scientifiques de Landau, ils ont démontré que les micropolluants dans les rivières diminuent la capacité des micro-organismes tapis dans les fonds à dégrader la matière organique, une fonction pourtant essentielle à la santé des rivières.
Le Pacte de Strasbourg
Les partenaires de ReactiveCity attendent beaucoup de la rencontre de ce jeudi, deuxième réunion du « forum transfrontalier de discussion et d’action » du projet. Pour aller vers des villes sans biocides, celui-ci veut impliquer tous les acteurs concernés, réunis au sein de quatre plateformes : citoyens, chercheurs, enseignants, et utilisateurs (spécialistes de l’urbanisme et du bâtiment). Le « Pacte » (Penser, aménager et construire en transition écologique) de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS) pourrait les inspirer. Il mobilise tous les acteurs professionnels publics et privés de la construction et de l’urbanisme sur les objectifs du Plan climat 2030 français. Dans ce cadre et en phase avec ReactiveCity, les services de la capitale alsacienne ont posé les bases pour, à travers des préconisations pour les bâtiments publics et des bailleurs sociaux, encourager la bascule de toute la filière vers le « zéro biocide ».
One health pour le Rhin supérieur
« La Ville et l’EMS se sont emparées du concept de ‘‘One health’’ [approche intégrant l’ensemble des facteurs concourant à une santé globale, d’après l’Organisation mondiale de la santé, NDLR]. Un des défis reste d’essaimer le Pacte strasbourgeois à Fribourg et à Landau, où les services support compétents sur ce ses sujets sont souvent plus restreints », souligne Sylvain Payraudeau. Les moments d’échange et les ateliers du forum de ReactiveCity permettront aux participants des quatre plateformes de transcrire les résultats scientifiques sur un plan pratique. Ils doivent aussi les aider à imaginer la manière de coopérer pour rendre leurs trois villes, ainsi que celles de tout le Rhin supérieur, plus durables. Un débat réunira des élus en charge de la santé à Strasbourg, Fribourg et Landau. La science éclaire, mais en dernier ressort les choix appartiennent à la politique.
* ReactiveCity s’appuie sur un consortium scientifique de six équipes des universités de Strasbourg, Landau et Fribourg, du CNRS, de deux écoles d’ingénieurs (ENGEES et Institut national des sciences appliquées). Outre les Villes de Fribourg-en-Brisgau, Landau et Strasbourg, le projet s’allie deux structures de gestion des eaux usées (Syndicat des eaux et de l’assainissement et Abwasserzweckverband Breisgauer Buch), l’Aprona et le pôle de compétitivité dédié à l’eau (Hydreos).
© Pierre Wisson